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Causerie. Lyon, le 14 décembre 1802.

La semaine passée, je vous ai parlé de la fortune laissée par Jay Gould comme étant la plus grosse du monde entier. Il paraît que j e me suis trompé. Jay Gould ne possédait que treize cent soixante-quinze millions. Or, on annonce la prochaine arrivée à Paris d'un banquier chinois, dont le patrimoine est évalué à cinq milliards. Sa maison de banque est à Canton et tous les ans il paie plus d'un million d'impôts au gouvernement de Pékin. A côté de ce Crésus cinq fois milliardaire, feu Jay Gould était tout juste à son aise...

Ce n'est pas seulement son énorme « galette » qui fait de Quan-Ha un personnage tout à l'ait remarquable. Ce Chinois présente une particularité plus extraordinaire encore. Il vient à Paris pour se faire soigner d'un tic nerveux, absolument inédit, qui l'oblige à lancer son pied dans le... dos de toute personne marchant devant lui.

On comprend que cette étrange affection puisse avoir pour l'opulent banquier les plus fâcheuses conséquences, surtout à l'étranger. Il est toujours désagréable de recevoir un coup de pied quelque part, même quand la chose émane d'un milliardaire chinois qui ne le fait pas exprès. Et je sais beaucoup de gens qui prendraient fort mal les vivacités du fameux tic et qui ne se gêneraient point pour faire passer à notre banquier le plus mauvais des quarts d'heure.

Aussi toutes les précautions sont-elles prises pour parer à cet inconvénient. M. Quan-Ha a d'abord un secrétaire particulier qui touche vingt-cinq mille francs par mois, à seule fin que son séant soit toujours prêt à se précipiter entre le soulier de son patron et le dos de ceux qui l'approchent En outre, pour venir en France, il s’est fait accompagner par trois Chinois de distinction, appointés comme des ambassadeurs, dont la charge consiste à le précéder et le flanquer sur le boulevard, pour qu'aucun postérieur étranger ne puisse souffrir de sa maladie nerveuse.

Vous voyez que cet homme-là n'est pas un type ordinaire. Jusqu'à son nom qui est délicieux. Quan-Ha, cela fait penser au monsieur auquel on disait : Supposons que tu t'appelles Yau-de-Poêle. Je te dirais : comment vas-tu Yau-de-Poële ! Imaginons aussi que M. Quan-Ha ait pour prénoms Ignace, Paul et Karl. Il pourrait mettre sur sa carte de visite I.-P.-K. Quan-Ha !

Sa fortune, son tic, son nom, tout est curieux en lui. Ce Chinois a toutes les veines. Ce sera avec Béhanzin le succès de la saison.

C'est effrayant comme les accidents de chasse se multiplient! De tous côtés les faits divers nous racontent les mésaventures lamentables de chasseurs qui se proposent de tuer des lièvres ou des perdreaux, et qui trop souvent prodiguent leur plomb à des gardes ou à des amis. Cela manque décidément d'agréments. Dorénavant les personnes prudentes feront bien d'aller seules à la chasse. Et même ne sera-t-on pas sûr d'en revenir sain et sauf, car les gens du métier nous apprennent qu'avec les armes perfectionnées d'aujourd'hui la force du projectile est si grande qu'il peut en résulter des ricochets invraisemblables et terribles. C'est ainsi qu'on explique l'accident survenu au général Darras. Son voisin de poste, M. Raynal, tire un cerf qui était en avant de leur ligne ; l'animal tombe foudroyé, mais une des chevrotines qui chargeait le fusil de M. Raynal revient par un angle aigu se loger dans les poumons de l'infortuné général. On espère le sauver. S'il en mourait, ce serait particulièrement triste. D'abord parce que c'est toujours une désagréable chose que de mourir et surtout de trépasser aussi bêtement, à la suite d'une partie de plaisir. Et ensuite parce qu'il s'agit d'un soldat qui a vu le feu dans vingt batailles et qui espérait sans doute une mort plus belle et plus féconde pour son pays.

Quant à M. Raynal, il paraît bien qu'il n'y a pas de sa faute dans ce malheur. Tout de même le bruit se répand qu'il n'est pas très sain de chasser en sa compagnie. On dit - je ne sais trop ce qu'il en est au fond - que c'est lui déjà qui aurait envoyé une jolie charge de plomb dans le fond de culotte du général Brugère, il y a trois ans. Ce serait alors une spécialité...

Voyez-vous d'ici une conversation entre chasseurs sur le gibier que chacun d'eux préfère tirer ? Je réussis surtout les lapins dirait le premier. - Pour moi, répondrait le second, je ne manque pas de bécasses à bonne portée. - Et le troisième modestement : Je ne rate jamais les généraux de division !

Nous vivons dans un temps où l'on parle beaucoup des Juifs. Romanciers et chroniqueurs en font un fréquent sujet d'études. Voici un trait curieux et bien typique, rapporté par Jules Lemaître, dans son roman : les Rois, sur un baron sémite qui ressemble fort au de Horn du Prince d’Aurec c'est-à- dire au vrai baron de Hirsch : Un de ses amis, venu le voir un matin, le trouva déjeunant d'une tasse de thé. Tout en causant le baron essayait de prendre des mouches. Il finit par en capturer une, l'introduit dans le sucrier et l'enferme sous le couvercle. Je verrai si la mouche y est encore demain, dit-il à son ami stupéfait. C'est plus simple que de compter les morceaux de sucre... je n'aime pas être volé !

Comment voulez-vous qu'un gaillard qui a de ces trouvailles ne fasse pas un fructueux chemin dans le monde ?

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